Ceci n'est pas un fait divers - CouvertureRésumé :

« ​Ils sont frère et sœur. Quand l’histoire commence, ils ont dix-neuf et treize ans.
Cette histoire tient en quelques mots, ceux que la cadette, témoin malgré elle, prononce en tremblant : « Papa vient de tuer maman. »
Passé la sidération, ces enfants brisés vont devoir se débrouiller avec le chagrin, la colère, la culpabilité. Et remonter le cours du temps pour tenter de comprendre la redoutable mécanique qui a conduit à cet acte.
Avec pudeur et sobriété, ce roman, inspiré de faits réels, raconte, au-delà d’un sujet de société, le long combat de deux victimes invisibles pour réapprendre à vivre. »

Coup de Cœur :

Il y a des livres dont on sait d’avance que ça sera compliqué d’en parler tant ils sont puissants et celui-ci en fait partie assurément. Ce roman est le quatrième que je lis de l’auteur, après De là, on voit la mer, Paris-Briançon et Un soir d’été. Si ma première expérience avec sa plume n’avait pas été convaincante, les trois suivantes ont été bien plus satisfaisante, j’ai été conquise à chaque fois par son élégance, sa sobriété, son empathie et sa pudeur.

Un jeune homme de 19 ans voit sa vie voler en éclats quand sa petite sœur de 13 ans, Léa, l’appelle : sous le choc, en pleine suffocation devant auquel elle a assisté, elle lui annonce avec ces quelques mots « Papa vient de tuer maman. ». Cette déclaration est le début d’une longue descente aux enfers pour les deux jeunes gens. Il saute dans le premier train de Paris direction Bordeaux et sa banlieue. La police, guère formée pour accompagner les victimes de féminicides, va poser de nombreuses questions, et les empêcher d’accéder à la maison familiale qui est désormais considérée comme une scène de crime : leur mère est décédée sous 17 coups de couteau, leur père s’est acharné avant de s’enfuir, comme un lâche.
Ils doivent apprendre à tout gérer sans avoir été formé au préalable, ils peuvent heureusement compter sur l’aide de leur grand-père qui vient immédiatement les soutenir malgré le chagrin qui l’accable d’avoir perdu sa fille unique.
L’onde de choc est puissante, elle ravage tout et le grand frère remonte ses souvenirs pour tenter de comprendre l’inimaginable. Il revient sur ce qui lui avait semblé être des détails dans le comportement de son père : sa jalousie excessive, la violence physique et verbale qu’il exerçait de plus en plus sur sa mère, la manière dont lui et les autres ont détourné les yeux…

L’auteur aborde un sujet très fort et qui est malheureusement toujours d’actualité : le féminicide, et ses conséquences pour l’entourage. Il s’attarde sur les enfants de la victime et du bourreau : ils sont traumatisés, endeuillés, meurtris au plus profond de leur âme à tout jamais, le travail de reconstruction sera long, compliqué et douloureux. Pour les proches, tout ceci ne sera jamais un fait divers, c’est du chagrin, un sentiment d’injustice, de colère, une blessure traumatique qui ne pourra jamais complètement cicatriser… Car le pire est à venir : les interrogatoires, l’attente, le procès, et ses conséquences.
L’histoire est racontée avec énormément de pudeur, d’empathie, de délicatesse sans jamais tomber dans le pathos et les envolées lyriques. Il dénonce la société qui a trop souvent tendance à banaliser cette réalité effroyable : le meurtre d’une femme par son conjoint… en oubliant les victimes collatérales. Comment s’en sortir, se reconstruire, retrouver le goût de vivre?
Cette réalité se déroule partout, à côté de chez soi, sous nos yeux…

Un texte puissant, révoltant qui rappelle l’immense gâchis de ces vies gaspillées pour rien…

A lire et à faire lire !

Citations :

* La brutalité n’a pas forcément besoin de grands discours ni de grands gestes.

* Nous ne devions pas juger seulement un fait divers, mais un fait social. Nous ne devions pas parler d’une dispute conjugale qui aurait mal tourné, mais bien de l’aboutissement d’un continuum de violence et de terreur. Nous ne devions pas parler d’un meurtre, mais de la volonté d’un homme d’affirmer son pouvoir, d’asseoir sa domination. Et de l’aveuglement de la société. Et de la peur de la nommer.

* Votre père, bien que sa mise en examen et son incarcération ne fassent aucun doute, conserve tous ses droits de père. Même depuis sa cellule, il pourra continuer à prendre les décisions, notamment s’agissant de toi, Léa, car tu es mineure. Il aura la main sur ton orientation scolaire… ou sur tes opérations chirurgicales, par exemple, si tu es amenée à en subir, tes voyages. Il pourrait même exiger des visites au parloir. Tu devras dire si cette situation te convient ou si, à l’inverse, tu préfères qu’un autre que lui devienne ton responsable légal.

* Pourtant il ne fallait pas s’y tromper: la folie soudain surgit n’expliquait pas tout – dès cet instant j’en ai été persuadé -, non, il y avait sans doute été poussé, porté par la conviction, profondément et solidement ancrée, d’avoir droit de vie et de mort sur son épouse.

* Je me souviens du sourire de mon père dans ces moments-là. Un sourire qui me rassérénait parce qu’il disait : ça y est, la crise est terminée, on a pu s’en sortir sans dégâts. Un beau sourire. Les monstres aussi ont le droit d’avoir un beau sourire.

* Quand quelqu’un ne te répond pas quand tu lui demandes si ça va, c’est que ça ne va pas.

*  » De toute façon, il est très difficile d’évaluer le danger, a balayé Verdier. D’autant que nos hommes – et croyez que je le déplore – ne sont guère formés à ce genre de … situation, vous ne l’ignorez pas. »

Devant nos visages stupéfaits, défaits et notre colère rentrée, il a jugé utilisé de dégainer ce qu’il estimait être l’argument massue :  » La police, comme la gendarmerie, manquent de moyens, je ne vous apprends rien. J’ai des effectifs insuffisants, moi. Je me bats pourtant mais, à risques, nous. Du coup, on ne peut pas tout traiter, malheureusement. Et surtout traiter correctement. Il y a forcément des choses à côté desquelles on passe. »
Le cri d’alarme de ma mère était donc une de ces choses à côté desquelles on passe. J’ai dit :  » Une femme battue, c’est moins important qu’un chien perdu ou une voiture emboutie, c’est ça ? »

* Nous ne devions pas parler d’un meurtre, mais de la volonté d’un homme d’affirmer son pouvoir, d’asseoir sa domination. Et de l’aveuglement de la société. Et de la peur de nommer.

Intensité du coup de coeur